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Pages arrachées à Nicolas Bouvier, la route pour l’Orient
Episode 1/5 : http://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/fictions-le-feuilleton-lundi-23-mai-2016
Tous deux allaient s’enfoncer vers l’Est, toujours plus avant, traversant la Yougoslavie, la Macédoine, l’Iran, l’Afghanistan. Thierry Vernet le quitta à ce moment. (…) Bouvier continuera seul le voyage : l’Inde, Ceylan, où il sombra dans la maladie et les hallucinations et le Japon qu’il aima au point de s’y implanter durablement et d’y retourner deux fois.(…) Etre nomade : une occupation rare à l’époque, réservée à quelques malheureux, et pas trop bien considérée à l’époque (1953). Quand il partit, Nicolas Bouvier quittait l’université, Genève et la Suisse, un territoire exigu et le carcan familial. Il quittait un milieu de bourgeois aisés, un père érudit, silencieux, dépressif, avec lequel, l’âge adulte venu, il s’entendit bien, une mère très cultivée, un peu raide, directive, qui elle ne le comprenait pas, une gouvernante prussienne terrifiante et sadique qui régentait la maison de ses grands-parents maternels, les belles demeures de l’été posées sur de longues pelouses, le cercle des connaissances célèbres, écrivains et musiciens, amis de son grand-père, qui était compositeur d’opéras, ou familiers de la bibliothèque où officiait son père. Il quittait une vie close, un peu surannée, marquée par la pruderie et la méfiance du corps, par l’influence judéo-chrétienne que l’expérience de l’Asie contribuera à effacer. Il partait loin des « alibis et des malédictions natales », d’un moralisme paralysant et d’une prudence dangereuse. Une fuite positive vers des choses dont il avait besoin. Et parce qu’il était prêt, ces choses se présentèrent à lui. Il avait le crâne bourré de ses lectures d’enfant, en tête desquelles venaient Stevenson, Jack London, James Oliver Curwood, Alexandre Dumas ou Jules verne, auteurs qui avaient inscrit en lui « l’impatience du monde ». Pas d’autres armes. Il s’en allait sans esprit de retour. La route. L’espace comme une drogue, l’immensité qui le saoulait de bonheur. Sans ce déplacement géographique, sans cet élan donné par le plaisir, sans cette liberté d’aller et venir, à laquelle correspondait une liberté intérieure, il n’aurait, dit-il, pas écrit. »
Christine Jordis
Extraits d’une préface à l’œuvre de Nicolas Bouvier (Quarto, Gallimard)